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Adieu la marche des fiertés

Franck Desbordes

AgendaQ ne retournera pas à la marche des fiertés parisienne l’année prochaine. Tout comme nombre de nos lecteurs cette année, gays cisgenres pour la plupart, nous la boycotterons si rien ne change.

Mais contrairement à beaucoup d’entre vous, cette année, nous avons quand même voulu aller voir… et le cœur n’était vraiment pas à la fête. Jamais une marche des fiertés parisienne n’a été aussi triste, ratée, démoralisante, brouillonne, insipide, décevante, clivante, sans chars et sans musique, rejetant ainsi ceux, celles et celleux qui venaient habituellement faire la fête avec du son.

A vrai dire, du son, il y en avait un peu (très peu). Ici ou là, 2 petites enceintes poussées à fond essayaient de mettre l’ambiance, avec les boomers écrasés par le manque de puissance, incapables de sortir autre chose que des bruits creux. Une catastrophe pour les oreilles, une gifle pour les artistes (mais un bonheur pour les SAV).

Ce calvaire, avec d’innombrables morceaux de marche de plusieurs centaines de mètres où les marcheurs.euses n’avaient rien d’autre à faire que marcher pour aller d’un point A à un point B, sans rythme, sans amusement, sans vibrations, faisait pitié et ces longs moments furent d’un ennui terrible. Démoralisant ? Oui !

Parce que la présence de chars les années précédentes ponctuait la marche, ils apportaient un peu de respiration. Cette année, les associations - qui pourtant méritent plus de visibilité - étaient noyées dans un flot continu de marcheurs.euses qui les englobaient, les étouffaient, si bien que l’on passait d’une asso à l’autre sans même les voir, sans les remarquer et sans les identifier. Le résultat est inverse à l’objectif recherché… un comble !

Parce que oui, incontestablement, il y avait beaucoup de monde. C’est normal, il faisait très beau. Logiquement, la foule a dû se masser au podium d’arrivée. Si bien que l’organisateur a pu s’auto-congratuler pour ses choix radicaux et la réussite de cette édition (je suppose parce que j’avoue ne pas avoir été assez masochiste pour traîner mon ennui jusqu’au podium d’arrivée à République). Et je n’étais pas le seul. Beaucoup, comme moi, ont choisi de ne pas continuer au-delà de Bastille.

Beaucoup d’entre-vous aussi ont répondu pour le rejet qu’ils, elles et iel.le.s ont subi par le boycott et vous avez bien eu raison puisque le déplacement ne valait vraiment pas la peine. On vous a retrouvé dans le Marais dès 19 heures et jusque très tard dans la nuit, avec de la musique, des sourires, des drag-queens et des gogo-boys, avec des amis et plein de gens avec qui nous nous sommes amusés sans même les connaitre. Il y avait de la politique à la marche des fiertés, beaucoup ; il y avait de la fierté et de l’amour dans les rues du Marais, beaucoup beaucoup plus !

Et il y a là en fait de quoi espérer parce que, cette année particulièrement, par la division résultant des choix de l’Inter-LGBT et la réponse par le boycott d’une partie du public, une solution pour l’avenir est peut-être en train de voir le jour. Il nous faut désormais un autre évènement pour fêter Stonewall, un évènement festif, avec de la musique bien sûr et des chars. Un autre évènement que la marche des fiertés. Pas forcément concurrentiel (quoique… si les deux évènements avaient lieu en même temps, cela permettrait de faire les comptes), mais complémentaire. Ainsi, tous et toutes pourraient choisir entre une marche politique ou un évènement beaucoup plus festif. On aurait le choix. La démocratie quoi…

Parce qu’après tout, on a déjà la Marche des banlieues, la Pride radicale, la marche Existrans pour les personnes transgenres, une marche dédiée aux lesbiennes, j’en oublie… Pourquoi ne pas ajouter une marche réellement festive et inclusive de toutes les diversités, où chacun.e sera réellement le.la bienvenu.e ? Où nous pourrons danser tou.te.s  ensemble. En réalité, plusieurs commerçants et organisateurs de soirées, exclus et rejetés par la marche des fiertés, en formulent déjà les contours. L’envie est là et bien là. Le besoin de revanche sur les oppressions subies aussi… Nous verrons bien si des initiatives se prennent d’ici l’année prochaine.

Car notre capitale, Paris, mérite tellement mieux ! Imaginez tous ces touristes qui ont peut-être cassé leur tirelire pour faire le déplacement et tomber sur la marche de cette année… Ils ne reviendront certainement pas et on ne peut que les comprendre. Mais les enjeux touristiques ne sont pas le problème de l’Inter-LGBT qui s’est presque engagée dans une démarche écolo-radicale, puisqu’un touriste consomme et que la consommation ça pollue. J’ai dit « presque » ? Oui parce que l’organisateur de la marche n’a pas encore interdit aux marcheurs.euses de porter des drapeaux dont on sait qu’ils sont en général fabriqués en Chine avec une empreinte carbone importante. Cela viendra peut-être…

Pour tous celles et ceux et celleux qui veulent terminer la période des Prides sur une bonne note, il y a encore Nice début juillet, avec des chars et de la musique. Il y a aussi Limoges en septembre, et d’autres villes. 

Faisons en sorte de transformer cet échec dont nous ne sommes pas responsables en une opportunité de créer de nouvelles choses, en phase avec cet immense public aujourd’hui rejeté. Rappelant ainsi que les chars et la musique ont structuré les Gay Prides et autres marches des fiertés au fil de notre histoire commune, ils en sont un élément structurant. La musique quant à elle permet de lutter dans la joie (cf mon édito dans le numéro 21 de Strobo mag « Laissez-moi danser »).

 

Franck Desbordes, Directeur de la publication

NB : A tous ceux qui pensent que j’ai écrit ce billet contre des gens majoritairement de gauche ou écolos, ils se trompent, vous me lisez dans les éditos successifs et vous connaissez ma haine pour les ultra-conservateurs, la manif pour tous, et les fachos de tout ordre. Non, ce texte ne vise que la radicalité, source de divisions, d’où qu’elle vienne sur l’échiquier politique.

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