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Edito Agenda Q #238 juillet-août 2025 : un écosystème complexe et pluriel

Franck Desbordes

La récente polémique sur l’affiche de la Marche des fiertés 2025 à Paris aura eu le mérite de démontrer à quel point notre communauté est aujourd’hui fracturée, divisée, et peut-être bientôt anéantie par nos scissions internes. Jamais depuis les révoltes de Stonewall et plus tard les premières Gay-Pride en France, nous n’aurons eu autant le rejet de l’autre comme réflexe de débat et de survie de nos groupes. Comme si nos groupes, sous-groupes et sous-sous-groupes étaient condamnés à se déchirer, pour le plus grand bonheur de nos ennemis.

Car c’est bien là tout le paradoxe dans cette histoire : pour que nos identités survivent (sont-elles si menacées que cela entre nous ?), nous sommes désormais prêts à servir sur un plateau à nos ennemis les homophobes notre acte de décès communautaire. 

Les non-binaires n’aiment pas les hommes hyper-masculins. Les hommes masculins dans les backrooms adorent les hommes hyper-masculins. Et puis certains non. Ils préfèrent des garçons avec une part de féminité. Mais ces derniers n’aiment pas les non-binaires, trop féminins à leurs yeux. Il y a aussi des gays, des lesbiennes et des bisexuel.les qui n’aiment pas les trans, marquant ainsi une frontière quasi politique entre orientation sexuelle et identité de genre. Et puis, il y a des trans qui en ont marre d’être incompris.es, 
sitgmatisé.e.s et maltraité.e.s qui n’aiment pas les personnes cisgenres qui les font souffrir. Les gens de droite n’aiment pas les gens de gauche. Et vice-versa. 

Les mecs cis qui pensent que l’extrême-droite n’arrivera jamais au pouvoir n’aiment pas les mecs cis et trans qui sont inquiets de la situation actuelle qui dérape grave vers plus de totalitarisme et de puritanisme et qui en font un motif de mobilisation. Les mecs qui luttent contre l’extrême-droite pensent en retour que ceux qui ne comprennent pas la situation sont forcément de droite ou d’extrême-droite. Et puis, il y aussi des LGB (lesbiennes-Gays-Bi) qui voient en l’accession au pouvoir de l’extrême-droite une solution (ils se trompent et raseront les murs comme les autres mais c’est ainsi). Les racistes n’aiment pas les femmes voilées dans l’espace publique. Les femmes voilées n’aiment pas les racistes (nous non plus). Les lesbiennes issues de l’immigration qui portent fièrement leur voile n’aiment pas celles et ceux qui leur dictent comment s’habiller et aimeraient bien être un peu plus libres. Ce qui agace ceux qui pensent que porter un voile est forcément un acte anti-laïque. Et puis il y a ceux qui n’aiment pas les musulmans parce que dans de nombreux pays l’homosexualité et interdite, punie de prison ou de mort. En face, il y a ceux qui n’aiment pas ceux qui passent outre le fait que justement, il fait être solidaire avec les personnes LGBTQIA+ vivant dans ces pays. Et puis il y a celles, ceux et celleux qui pensent qu’on peut mettre tout ce gloubiboulga sur une affiche (il manque le supplément cheddar et ketchup) pendant que les autres sont vénères tout rouges parce qu’ils, elles et iels n’aiment pas cette affiche qui ne parle pas des sujets qu’ils, elles et iels vivent au quotidien. Etc…

Dans notre propre communauté fetish, ces rejets existent aussi (souvent, ce ne sont plus de débats mais des prises de positions très radicales là aussi). Les uns n’aiment pas les puppies et leur communauté, les autres trouvent que les hommes en cuir sont hyper-masculins, donc masculinistes, donc d’extrême-droite (si, si, on a écrit un dossier à ce sujet dans ce numéro). Il y a ceux qui n’aiment pas les fêtes sexe inclusives où tous les genres sont les bienvenus. Il y a ceux qui au contraire n’aiment pas les fêtes cis ou monogenre. Et puis il y a encore aujourd’hui des zozos stupides qui n’aiment pas les mecs qui prennent la PrEP parce que les IST gnagnagnagnagnagna…, ou qui n’aiment pas ceux qui se sentent plus libres dans leur sexualité grâce au traitement très efficace qu’ils prennent parce qu’ils vivent avec le VIH. Les mecs trash n’aiment pas les mecs vanille. Les mecs vanille n’aiment pas les mecs trash. Les mecs qui ne pratiquent pas le fist n’aiment pas les mecs à fist. Même, certaines assos fetish n’aiment pas les autres assos fetish (mais il ne faut surtout pas le dire).

Et puis, il y a les cons et les extrémistes. Des cons et des extrémistes, il y en a partout. Chez les cis, chez les trans, chez les non-binaires, chez les fetish et les fleurs bleues. Ils ont pour particularité première de répondre à l’attaque par l’attaque. Pourtant, la pédagogie c’est mieux. C’est plus intelligent et constructif. Prendre le temps d’expliquer en quelques phrases plutôt que d’insulter en quelques mots. Mais ça demande du calme et de la patience. Et c’est vrai qu’on n’a pas toujours le temps, surtout sur le poison que sont devenus les réseaux « sociaux ».

C’est en fin de compte vraiment dommage parce qu’en réalité, en prenant un peu de recul, toute cette diversité est belle à voir. Il faut de tout pour faire un monde paraît-il… Le nôtre est multicolore. Cette pluralité dans nos groupes, dans notre grande et belle communauté, n’est pas une faiblesse mais une force (même quand une affiche est totalement ratée parce que, surtout, elle passe à côté de son objectif : rassembler autour de valeurs communes pour continuer à lutter pour nos droits, contre les extrêmes de France et d’ailleurs). Si chacun arrêtait de balancer à la figure des propos binaires et haineux (sur les réseaux sociaux essentiellement), si au lieu de stigmatiser et d’insulter, on demandait à l’autre d’expliquer son point de vue, de raconter son expérience, son histoire, son parcours de vie, peut-être (surement !) serions-nous moins radicaux, moins inflexibles. Plus disposé.e.s à discuter, découvrir les autres plutôt que de se replier sur soi-même et se cristalliser en groupes. L’isolement et la solitude rendent triste, bête et méchant.

Cette pluralité de courants rend notre communauté complexe, et c’est en fait un joyau extraordinaire où l’on devrait pouvoir débattre de quasiment tous les sujets. Sans haine de l’autre. Juste en constatant qu’on n’est pas d’accord parfois et que ce n’est pas la fin du monde. Au contraire.

Chez AgendaQ, la vie est plus simple. On part du principe que nous, on aime tout le monde. On veut vivre avec tout le monde. Nous sommes des soixanthuitards attardés, nous voulons faire l’amour et pas la guerre. On veut avoir de la joie, des débats, des ébats aussi, du plaisir et du sexe avec le plus grand nombre. Partager et jouir de la vie, de la bite et du cul, et des hormones que ça produit dans la tête. La vie est plus belle ainsi.

C’est l’été, pensez à tout ça si vous avez deux minutes, et pensez aussi à mettre de la crème sur vos fessiers si vous passez en mode naturiste, protégez-vous du soleil, éclatez-vous, baisez si vous en avez envie, reposez-vous, faites-vous du bien. Et à la rentrée, dépistage pour le VIH et les IST pour tout le monde ! Pour continuer à se faire du bien en toute tranquillité.

Franck Desbordes, 
Directeur de la publication

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