L’essor du web au début des années 2000, l’interdiction de fumer dans les établissements, le développement des applis de rencontre, la consommation de produits psychoactifs (drogues), l’essor indiscutable du chemsex depuis quelques années,… autant de facteurs qui expliquent le développement des parties privées (partouzes) jusqu’à aboutir à la constitution d’un véritable réseau alternatif aux établissements de rencontres classiques : backroom, saunas, bars.
Ce qui n’est pas sans leur poser des problèmes de rentabilité puisque nombre de clients préfèrent aujourd’hui les touzes dont le format est de fait plus « libre ».
Mais paradoxalement, et bien souvent sans qu’ils en soient réellement conscients, les organisateurs de parties privées ne sont pas à l’abri des problèmes, bien au contraire !
Des soirées à risques
Ils sont d’ailleurs déjà quelques-uns à avoir laissé tomber l’affaire ces dernières années, comme Denis*, ancien organisateur de partouzes dans le 20ème arrondissement de Paris. Plaintes répétées pour tapage nocturne de la part des voisins en raison de va-et-vient incessants toute la nuit dans l’immeuble, plainte contre X d’un participant pour vol de son portefeuille avec cartes bancaires, papiers d’identité et espèces, puis convocation à la police dans le cadre de cette affaire, appel des pompiers à de multiples reprises dès qu’un des participants ne se sentait pas bien, souvent en ayant pris des cocktails potentiellement mortels : alcool-GHB-Viagra, ou ayant fait un coma (G-Hole), ou parce que l’état de santé d’un chemsexeur devenait critique ou encore parce que son comportement devenait ingérable, impossibilité de « maîtriser » les consommations de drogues des participants, visites régulières de la police, accidents domestiques, recours à l’assurance, vols à répétition dans son appart (une enceinte Bose, un tiroir entier de couverts dans la cuisine (!!), un blouson et d’autres vêtements de marque, etc). Sans compter le ménage le lendemain : J-lube sur le sol, bières et alcools renversés, pisse et parfois excréments à la suite d’accidents de fist. Après plusieurs années, Denis a fini par lâcher l’affaire et a dû déménager pour retrouver une vie plus apaisée.
Paradoxalement, son cas n’était pas le plus compliqué parce qu’il ne demandait pas à ses participants de payer une « participation aux frais », en clair de l’argent à l’entrée. Il existe aujourd’hui nombre de partouzes dans les grandes villes qui sont payantes (entre 20 et 50€ le droit d’entrée) et qui se déroulent souvent sur plusieurs jours, en général dès le vendredi jusqu’au dimanche, lundi, et jusqu’au petit matin du mardi parfois. Le mercredi étant destiné au repos, le jeudi et vendredi au ménage et à la préparation de la prochaine partie quelques heures plus tard. De véritables organisations professionnelles dont la taille varie de quelques participants à plusieurs dizaines sur plusieurs jours.
Une concurrence déloyale
Dans la forte crise financière que vivent actuellement les établissements, certains d’entre eux sont désormais très en colère contre ce qu’ils estiment être une concurrence déloyale. Car contrairement aux parties privées, les établissements sont soumis à des règles de sécurité strictes et coûteuses en tant qu’Établissement Recevant du Public (ERP), à des impôts et taxes, etc. Le Sneg & co, Syndicat National des Entreprises Gays and co (LGBTQ+ et alliées) revient d’ailleurs régulièrement sur le sujet puisque ses adhérents sont amenés à le saisir sur cette question. Dans sa newsletter du 10 janvier dernier, il relatait le cas suivant : « ce 31 décembre, dans un pavillon de Deuil-la-Barre (95), une de ces soirées clandestines étaient organisée, prévoyant d’accueillir 300 personnes moyennant un tarif de 50€ avec alcool gratuit jusqu’à minuit, c’est-à-dire un open bar, pratique interdite en ERP. Alerté, le maire a pris un arrêté d’interdiction de 3 pages affiché sur des barrières placées devant la maison, titré « Arrêté municipal interdisant la tenue d’une soirée publique à but lucratif ».
Cet exemple, comme tant d’autres, relève un fait relativement nouveau (pour nous en tous cas) : les organisateurs de parties privées peuvent être surveillés. Sur les réseaux sociaux, sur les sites d’annonces de location de courtes durée (style AirBnB), etc. Dans sa newsletter du 21 février dernier, le Sneg & co complète : « …une fois identifiées et communiquées en préfecture ou en mairie, ces soirées peuvent faire l’objet d’un arrêté d’interdiction ». Les voisins, les autorités, les établissements estimant subir cette concurrence déloyale, un ancien participant, un concurrent qui organise aussi des soirées privées, peuvent donc agir assez simplement pour empêcher la tenue de parties privées.
Nous n’avons pas pu trouver d’informations pour savoir si les organisateurs étaient ensuite poursuivis en justice. Mais, comme le rappelle le Sneg & co, l’arrêté municipal pris par le maire de Deuil-la-Barre liste les sujets et infractions à la loi constatés dans ce cas : conditions de sécurité et d’accessibilité, soirée à but lucratif, usage d’ERP dans une habitation privée, absence de déclaration préalable à la SACEM, communication constatée sur site Internet, absence de licence de débit de boissons, même temporaire, entrée payante supposant organisation commerciale, menaces de troubles à l’ordre public, nuisances sonores, de circulation et de stationnement, absence de service d’ordre professionnel en conformité. Autant de chefs d’accusation qui peuvent sans aucun doute chatouiller la curiosité de la police et des impôts. Sans oublier qu’un participant qui sera mécontent de sa soirée ou à qui on aura volé le blouson pourra tout à fait dénoncer l’organisateur a posteriori lors de sa plainte, l’aspect lucratif de ces parties étant un point qui retient toujours l’attention des services fiscaux… Et pour dire vrai, si subitement les organisateurs, par peur ou par volonté de bien faire, voulaient se mettre en conformité avec la loi, c’est mission impossible administrativement parlant, mais ce n’est surtout plus rentable du tout. Vous voilà prévenus ! Ne perdez jamais de vue que vous pouvez être considéré comme hors-la-loi par les autorités, mais vous êtes aussi responsable de la sécurité de vos invités qui peuvent a posteriori vous poursuivre en cas de problème.
Est-ce que cela veut dire que l’on n’a plus le droit d’organiser une partie fine entre amis à la maison ? Bien sûr que non. Si vous recevez quatre mecs pour passer une « soirée conviviale entre amis », qu’il n’est pas question d’argent, qu’il n’y a pas de nuisances sonores et autres pour les voisins, il n’y a pas de raisons que vous soyez inquiétés. Veuillez toutefois à vous assurer que votre contrat d’assurance (responsabilité civile) couvre les éventuels accidents pour vos invités. Et gardez toujours à l’esprit que vous êtes responsable de ce qui se passe chez vous. Précisément, en cas de problème éventuel et de consommation de stupéfiants lors de votre soirée, vous pourrez être amené à vous expliquer.
Une situation très paradoxale
Il y a malgré tout un très gros paradoxe dans ce concept de concurrence déloyale en matière de parties privées, parce que justement, ces parties rassemblent souvent des publics que les établissements ne veulent pas dans leurs murs. Qui dit aujourd’hui « partie privée » dit souvent « partie privée chemsex » ou sans entrer pleinement dans ce format spécifique, « partie libre » où chacun fait à peu près ce qu’il veut. Or, le public des chemsexeurs n’est pas souhaité dans les établissements qu’ils mettent, de fait, en danger (risque de fermeture administrative de l’établissement en cas de consommation de substances illicites dans ses murs). Les bars, backrooms, saunas sont souvent d’ailleurs très clairs en posant des affiches à l’intérieur et parfois même à l’extérieur comme au Krash bar à Paris qui donne justement le ton sur sa porte d’entrée : « Bar sans chems ». Le 22 février, le bar postait un message très clair sur sa page Facebook : « nous vous rappelons que le Krash ne tolère aucune prise de drogue dans notre établissement. Et nous refusons l’entrée aux personnes déjà droguées. Aucun jugement sur les pratiques de chacun, juste une volonté de garder le Krash comme un endroit safe pour nos clients et nos barmen ». Le Krash bar n’est pas le seul à être engagé de la sorte, le SecteurX, le XKBoys, et tant d’autres à Paris et en France le sont par souci légitime de tranquillité et de maintien de leur activité.
Difficile dans ces conditions de reprocher à des organisateurs de parties privées une concurrence déloyale qui consiste justement à capter une clientèle qu’ils ne veulent/peuvent pas gérer. En fin de comptes, on pourrait retourner le problème et constater que pour l’instant, ces parties privées, bien que totalement illégales, sont peut-être une solution malgré les faits caractérisés de concurrence déloyale… Vaste sujet de débat tant que le législateur considérera à tort qu’un exploitant est responsable de tout ce que font ses clients dans son établissement, et tant que l’on privilégiera le tout répressif sur la prévention et l’accompagnement… et ça, avec le gouvernement actuel, ça ne changera pas de si tôt.
(*le prénom a été modifié)
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Chez AgendaQ, malgré de nombreuses sollicitations, nous avons toujours refusé d’intégrer dans nos agendas les soirées privées (sauf à nous prouver par la fourniture d’un formulaire officiel (K-bis) que l’activité est réglementaire, aucun organisateur ne nous l’a jamais fournie après que nous l’ayons demandée).
Nous sommes évidemment soutiens de nos bars, backroom, saunas, events, car le jour où ce tissu communautaire aura disparu, c’est notre communauté entière qui sera affaiblie.
La prise de produits ne peut effectivement pas se faire dans les établissements ou avant d’y entrer, ces derniers étant déjà bien fragilisés par la baisse d’activité actuelle et le remboursement des Prêts garantis par l’État contractés pour survivre pendant la crise covid-19, beaucoup d’entre eux ne se remettraient pas d’une éventuelle fermeture administrative.
L’occasion de donner un message aux garçons qui pratiquent le chemsex occasionnellement ou régulièrement : vous pouvez très bien sortir une heure ou deux dans les établissements sans prendre de produits ni avant ni pendant, y rencontrer de nouvelles personnes, vous amuser autrement, en vous disant que vous prendrez vos produits plus tard, chez vous, tranquillement. Et qui sait, vous y ferez peut-être des rencontres qui vous permettront de lâcher pour un temps votre consommation ou votre addiction (quand on s’amuse, on ne voit pas le temps passer, et on oublie même parfois).