SI vous avez AgendaQ entre les mains en ce moment, il y a de grandes chances que vous soyez actuellement dans un bar gay, une backroom ou un sauna ou que vous ayez trouvé votre exemplaire dans un de ces lieux.
Alors imaginez, vous êtes en ce moment dans la backroom en train de vous amuser avec votre ou vos partenaires et subitement, des lampes torches s’allument au cri glacial de « que personne ne bouge ! » La backroom s’allume et la police constate alors qui fait quoi avant de vous embarquer au poste et vous garder quelques heures en cellule, en attendant votre futur procès. C’est ce qui s’est passé dans une backroom à Paris, Le Manhattan, rue des Anglais dans le 5ème arrondissement en 1977. à cette époque, l’homosexualité était pénalisée et quelques années plus tôt, encore considérée en France comme une maladie mentale.
« Oui mais c’était il y a longtemps ! » me direz-vous. Non, à l’échelle du militantisme, c’était hier. Et à bien y regarder, c’est même aujourd’hui ou presque. Car si l’homophobie d’État n’existe plus à un tel niveau (ce dernier étant encore à la peine sur les sujets de la transidentité ou sur l’éducation dès le collège portant sur les questions liées à l’orientation sexuelle par exemple), dans la société, cet hier du Manhattan est l’aujourd’hui de la vie de beaucoup d’entre nous partout en France.
Car les amendes dressées à l’encontre des garçons pris en flagrant délit d’ « actes contre nature » hier au Manhattan ont pris aujourd’hui une autre forme. Celle des attaques physiques ou verbales régulières, celle de l’impossibilité par nos ami.e.s habitant en banlieue de vivre leur homosexualité, forcé.e.s à se cacher exactement comme les gays vivaient cachés dans les années 70. Qui, ces dernières années, en sortant d’un bar gay, d’une backroom, d’un sauna en pleine nuit, n’a pas rasé les murs en espérant pouvoir rentrer chez lui sans se faire agresser ? Et ceci partout en France, à Paris comme en régions. La peur est bien présente. Et à juste titre !
Dans son rapport annuel, SOS Homophobie nous annonçait ces derniers jours que les agressions LGBTPhobes avaient bondi de 27% en 2022 ! Ceci explique d’ailleurs pourquoi le vote FN-RN monte aussi chez les gays (et les lesbiennes) depuis quelques années, alors que les lois proposées par l’extrême-droite seraient défavorables à la communauté LGBTQ. Il y a quelques jours d’ailleurs, des députés du RN accompagnés de militants zémouriens et autres ultra-conservateurs créaient une association pour lutter contre le wokisme, mouvement militant (certes parfois un peu radical) dans lequel les combats LGBT sont omniprésents. Madame Le Pen ne se gêne pas non plus pour affirmer son soutien aux lois anti-propagandes LGBT de tel ou tel pays gouvernés par la droite, l’extrême-droite ou par le dictateur Poutine.
Demain, si le RN arrivait au pouvoir, il faudrait donc ne plus faire de « propagande » … c’est-à-dire ? Enlever nos drapeaux ? Nous habiller et nous comporter comme des hétéros ? Dans l’espace public gommer ce que nous sommes ? Effacer nos vraies identités ? Dans la foulée, qui vous dit que l’on ne fermera pas ici ou là un établissement (pour commencer) dont les clients sont un peu trop visibles ou extravaguants en terrasse ? Qui vous dit que nos établissements de rencontre resteraient ouverts ? New-York les a bien interdit a dans les années 90 pour stopper l’épidémie de sida (un échec cuisant !), et encore aujourd’hui, l’activité sexuelle y reste proscrite.
« Mais non, ça ne peut pas arriver en France en 2023… » Vous n’y croyez pas… Pourtant, le mois dernier, le fanzine AgendaQ a été livré avec un peu de retard parce qu’il a nous fallu changer d’imprimeur en dernière minute, le premier ne voulait pas imprimer « ça », en ajoutant dans la même phrase qu’il ne s’agissait bien sûr pas d’une décision homophobe. Bien tiens ! Je n’ai pas eu le temps d’expliquer que là où le monsieur voyait de la pornographie, nous voyons de l’information et de la pédagogie en matière de sexualités et de santé sexuelle et mentale. La conversation fut d’assez courte durée. Voilà, ce n’était pas en 1977 mais le 27 avril 2023 à 19h (après 2 jours de silence absolu dudit imprimeur, ceci nous empêchant de consulter l’un de ses confrères !) Ben du coup, même si ne nous en sommes pas directement responsables, nous en profitons pour nous excuser pour le retard.
Dans un autre registre, notre gouvernement Macron, très à droite lui aussi, est en train de nous concocter une gentille petite loi qui devrait protéger les adolescents de la pornographie (lol, ils savent déjà tous utiliser un VPN pour la contourner), et cela aura des conséquences sur tous les sites web liés aux activités Q qui contiennent une vidéo, une photo, ou même peut-être un terme qui fera référence à la pornographie : fist, uro, naked,... Et là, c’est comme d’habitude : les pro-Macron, y compris chez les chefs d’entreprises concernés, pensent que cette loi ne concernera que les gros sites vidéos en libre accès comme PornHub et d’autres. Oui pour commencer. Mais une fois qu’une loi est installée, la loi est la loi, elle s'appliquera dans tous ses termes. Et puis ensuite on la modifie comme on veut. Et si un jour l’extrême droite arrive au pouvoir, elle ne se gênera pas !
Et c’est bien pour se battre contre ces violences et tous ces risques futurs qu’il faut continuer à montrer qu’on est là et bien là. Visibles. Le retour au placard et dans les lieux sombres pour baiser, c’est l’assurance d’une montée encore plus décomplexée de l’homophobie et de la violence. La visibilité fait office de muraille contre la haine. Et c’est justement à cela que servent les Gay Prides et autres marches des fiertés.
Alors oui, les Prides sont plus drôles et festives en régions et en Europe qu’à Paris (puisque l’organisateur a décidé d’interdire les chars musicaux), c’est un fait. Et nombre de gays cisgenres disent même avoir le sentiment de ne plus y être les bienvenus, suite aux évolutions successives de la marche parisienne. On peut aisément les comprendre. Pour autant, ce jour-là, dans le Marais ou ailleurs, il faut rester visible.
Et répéter à tous ceux qui pensent que les combats sont définitivement gagnés ou que « la Gay Pride, ça ne sert à rien », que tout peut toujours être remis en cause. Le combat pour la liberté est un combat permanent qui n’est jamais gagné. Ce ne sont pas les clients du Manhattan qui me contrediraient.
Franck Desbordes, Directeur de la publication